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Ground zero

Sans repères sans histoires sans envie. Je suis vide, quelqu'un de morne, qui n'a rien à dire. Jamais été quelqu'un qui parle beaucoup. Quoique ce n'était pas vrai dans les situations où je militais pour une cause en laquelle je croyais énormément. A la fac, pendant les grèves de 95, où j'en étais devenue une porte-parole, et chez Club Internet où je savais que mon service donnait le meilleur de lui-même. Je suis intarissable quand je maîtrise un sujet. Mais en ce moment, je cherche le silence, la solitude, comme pour économiser mes forces et ma volonté faiblissante.


Je réponds sans relâche à des annonces, sans réponse à part négatives pour l'instant, et j'y crois assez peu même si je donne le meilleur de moi-même dans mes lettres de motivation.

Je les travaille et retravaille durant une heure, jusqu'à me dire que si à leur place je la recevais, je m'embaucherais.

J'ai dû quitter mon Challenge Emploi Cadres chez Auditek bêtement, pour me lancer dans le boulot de technico-commerciale chez ChaudChezVous.


Début d'année, je déjeune avec le jeune chef d'entreprise, Milo, qui me dit chercher des commerciaux, quelques-uns des siens l'ayant lâché fin 2009. L'oreille dressée, je lui demande ses critères d'embauche. Motivé, qui percute vite et aimant l'argent, me répond-t-il. Je traduis : ne comptant pas ses heures, ayant de l'expérience et devant travailler dans le dur. Je réfléchis. Peut-être des personnes dans mon réseau de cadres sans emploi qui pourraient faire l'affaire ? Il rompt le silence :

- Mais je vais te dire un truc qui ne va pas te plaire...

- Tu ne veux pas embaucher de femme, c'est ça ?

- Comment tu as deviné ?

- Ben je sais pas moi, tu me parles de percuter vite... peut-être que j'ai percuté :-)

Je le relance : pourqiuoi pas une femme ? parce qu'elles sont accaparées par leurs gosses ou sont dépressives et pas assez volontaristes, me dit-il en relatant des expériences vécues.

- Est-ce que tu veux dire que dans le secteur des énergies renouvelables, il n'y a aucune femme commerciale ?

- Heu non, y en a une, à la concurrence, elle est très douée même, mais...

- Donc une femme dans ce métier c'est possible ?

- Moui.

- Et rappelle-moi les commerciaux pas fiables qui ont quitté la société fin d'année, c'était des hommes ou des femmes ?

- Des hommes.

- Ah.

Ceci posé, je n'insiste pas. Ce n'est pas dans cet état d'esprit qu'il va me proposer du boulot, alors je change de sujet et nous terminons gaiement le déjeuner.

 

Quelques temps plus tard, il appelle mon Loup, qui m'avait présenté Milo il y a bien 2 ans, et qui se met à lui chanter mes louanges. Et je reçois ce coup de fil :

- On pourrait se voir ? Mais pas pour déjeuner cette fois, disons est-ce que tu pourrais venir avec un CV ?

- Ah, t'as changé d'avis sur les femmes ? rigolai-je.

Et il m'a proposé ce job de VRP salariée avec une avance de salaire équivalente au Smic et des commissions sur la vente de systèmes de chauffage aux particuliers. Pourtant mon entretien n'aurait jamais convaincu quelqu'un d'autre. Comme quoi le réseau... Je n'ai jamais travaillé dans le milieu du bâtiment, le porte-à-porte ça ne me dit trop rien et raconter des choses exagérées pour argumenter une vente, je n'aime pas ça mais il va falloir que je m'habitue.

La vente aux particuliers, j'avais essayé y a 15 ans et cela m'avait pas excitée. Mon objectif aujourd'hui étant de trouver un CDI pépère et bien payé pour sécuriser les revenus du foyer et rembourser le crédit de la maison, son offre ne correspondait en rien à mes motivations. N'empêche, j'étais persuadée de parvenir à apprendre très rapidement les fondamentaux techniques de toutes ces clims et pompes à chaleur et je connaissais assez de techniques pour en vendre. Sans enfant et n'ayant pas peur de travailler dur, j'étais convaincue de balayer ses a priori. Il a dû s'en convaincre aussi.

Et il m'a formée une toute petite semaine avant de me lâcher sans filet. Impossible d'être suffisamment armé quand on n'est pas du tout du métier, mais tant pis, quand on n'a pas le choix. Tu apprendras le reste sur le tas.


J'annule mes engagements, me coltine la foire internationale de Toulouse sans ménagement. 9h30-19h voire 22h pour les 2 nocturnes que l'autre commercial se débrouille pour ne pas faire. 15 jours d'affilée. Je décale un brunch où j'avais invité plus de vingt personnes pour faire la potiche sur le stand sans voir la lumière du jour. La fatigue commence à se faire sentir. En plus j'ai eu une crève phénoménale qui a duré 15 jours. J'arrache une journée de repos. On va en clientèle un soir à 20h30 à perpète, on signe mais la vente sera annulée par le client moins d'une semaine plus tard. Mon Loup commence à être plus tendu que moi et me reproche mes horaires, mon investissement, pour de maigres résultats. Un seul petit triomphe, le midi où Zeboss revient de déjeuner avec l'autre commercial et me taquine : alors ! t'as signé pendant cette heure ou t'as glandé ?

Et je leur cloue le bec en tendant le chèque d'accompte d'une jolie vente que j'ai réussi toute seule pendant leur absence.


Je finis par réfléchir et analyser la situation. Les clients sont soit hypocrites soit sournois, et ni drôles ni intéressants. Les 100km/jour minimum commencent à me coûter cher. Bilan au bout d'un mois, j'ai gagné 850€ et pourtant j'ai fait 250 heures, et apparemment mieux performé que bien d'autres débutants. J'ai même ramené 3 clients par moi-même, en démarchant mon réseau.

Sans formation complémentaire, sans moyens de conquête pris en charge par la société, je suis condamnée à continuer sur ce rythme. Et alors, si je double ce salaire, je vais atteindre 1700€ bruts ? et même si je le triple j'aurai 2500€ bruts ? dans combien de temps ? et de toute façon, ce serait insuffisant ! Je fais le point avec Loup. Trop risqué, nous avons trop de problèmes financiers et de charges pour se donner aussi peu de perspectives. En taux horaire, je gagnerais plus chez Mac Do.

Au bout d'un mois et demi, je m'immatricule en tant qu'auto-entrepreneur, apporteur d'affaires, et j'annonce à Milo que je dois arrêter, j'apporterai des affaires quand les occasions se présenteront, il ira faire la vente au client et moi, je me consacre à ma recherche d'emploi.

Il le prend mal puis digère. Je suis soulagée d'avoir pris la plus sage décision pour mon foyer.

 

Et aujourd'hui, je suis retournée à ground zero. J'en ai un peu marre de tout parce que Loup fait aussi la gueule à propos de tout ce que je fais sauf ce que je fais pour lui et pour sa boîte. Quand je fais des apéros-réseau, il fait la tête. Un dîner de filles ? il râle. Des activités associatives ? je ne lui en parle plus car il va me reprocher de "perdre mon temps". J'évite les pince-fesses et en arrive à éviter de lui parler de mon réseautage. Parce qu'il a à chaque fois une attitude décourageante, clame le peu d'intérêt qu'il y voit, et je n'ai pas besoin de ça. C'est un grognon qui ne comprend pas les motivations qui lui sont étrangères et n'encourage jamais ses proches quand ils en ont besoin.

 

Typique : sa mère l'appelle, harassée de corvées (qu'elle s'inflige elle-même pour la plupart), et se plaint gentiment parce qu'elle n'a pas le temps de préparer le voyage en Italie où elle veut aller balader sa mère. Moi je sais que c'est une femme, qui travaille beaucoup pendant sa retraite et qui donne énormément, qu'elle a un coup de barre et besoin d'être écoutée, soutenue, et encouragée, guidée, dans la foule de contraintes qu'elle s'invente sans cesse. Après l'avoir écoutée quelques minutes, je lui passe son fils. Qui se met à l'engueuler : tu travailles trop ! Quoi ? tu dis que tu n'as pas le temps de préparer le voyage ? Tu ne peux pas partir sans avoir réservé les premières nuits d'hôtel ! Tu dois acheter le guide du Routard ! Maman, tu t'organises n'importe comment ! Nous, on s'inquiète de te voir partir pour 1000km en voiture avce grand-mère ! C'est trop fatigant ! Et s'il vous arrive quelque chose ? etc... etc...


J'ai fermé les écoutilles au bout d'un moment, je n'en pouvais plus de l'entendre assener des reproches, afficher une inquiétude exagérée, essayer par de grandes vérités de la dissuader alors qu'elle n'allait pas se laisser convaincre, la connaissant. Oui mais c'est dangereux ! me rétorqua-t-il. Oui mais elle est grande, elle a plus d'expérience que nous, après tout, c'est ta mère, elle a vécu avant toi ! répondis-je. Et elle ne t'appelais pas pour se faire enguirlander mais pour être encouragée car elle réalise les préparatifs que demande un tel voyage justement. Ce n'est pas comme si elle était inconsciente. Elle a simplement la foi, elle est positive. Et moi je crois que nous n'avons aucune raison de ne pas avoir confiance. S'il doit arriver quelque chose, que nous soyons inquiets ou désagréables n'y changera rien. Tu sais très bien qu'elle partira. Si tu voulais vraiment l'aider, tu achèterais toi-même le guide du Routard et tu irais lui porter avant son départ. Ca, ce serait vraiment une preuve délicate d'attention, et efficace.

Il se tut. Et le fit.

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