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Plus malheureux que soi

- A tout de suite !

Ce n'est pas la première fois. Que je claque ma portière en sortant du cinéma. Et que je sais que je ne vais pas démarrer tout de suite. Parce qu'à l'intérieur de ma tête des vagues déferlent, qui vont jaillir par le barrage brisé de mes yeux. Et je pleure je pleure je pleure et ça fait du bien dans le noir loin des gens du bruit dans le cocon de ma minuscule voiture.

Pourquoi je pleure ? Parce que je suis fatiguée parce que je n'en peux plus parce que je le garde pour moi et qu'à un moment ça doit sortir. Et aussi parce que je suis une chochotte comme dirait Courgette et que je viens de voir un film qui m'a fait réaliser à quel point j'avais de la chance sur un aspect que je n'avais jamais considéré.

Et en constatant à quel point avoir une carte d'identité française depuis ma naissance m'a évité son lot de galères, de xénophobie, d'injustices, je me suis dit encore une fois : il y a tellement de gens plus malheureux que soi.

 

Je pleure aussi pour les vraies victimes de l'immigration. Ce n'est qu'un film, la réalité est bien plus dure que le traitement stéréotypé de Wayne Kramer et de ses scènes ridiculement prévisibles. D'ailleurs, en 2010, cette violence du combat territorial mérite les larmes du monde entier. Loin de la caricature, je réfléchis à tous ces gens qui essaient de survivre dans un pays dont ils se voudraient citoyens et qui les chasse alors qu'ils sont de bonne volonté contrairement à d'authentiques habitants qui commettent des crimes sans égard pour leur nationalité. A mes yeux même vivre aux crochets de la société en est un et le péché capital prend tout son sens.


Je ne me suis jamais sentie particulièrement fière d'être française mais ce soir je réalise ma chance de ne pas être étrangère dans ce pays. Je n'ai eu de sentiment d'appartenance dans aucun pays, toujours étrangère car voyageuse et métissée. Alors il y a longtemps j'ai renoncé à cet avantage qu'un français ordinaire oublie totalement, celui d'être considéré comme un frère dans une tribu, accepté sans questions.

Aucune personne non métissée ne peut se rendre compte de la solitude dans laquelle plonge le métissage. Il ne faut pas exagérer, cela apporte aussi des avantages comme parfois une double culture, une deuxième langue maternelle, un mélange parfois gracieux de gènes, une curiosité d'autrui qui permet de tisser des liens... du genre la première question bienveillante lors d'une rencontre "t'es métis, toi non ? de quel pays?"

 

Mais ça, c'est ce que voient les non-métis. Pour ceux qui sont de l'autre côté alors qu'ils n'avaient rien demandé et pour qui ça se voit physiquement (parce qu'il y a aussi les métis chez qui ça ne se voit pas, mon Dieu que je les envie), il y a le lot d'inconvénients et de souffrances que ça inflige.

Qu'on ne vienne pas me dire que c'est par curiosité sympathique qu'on me demande non pas qui je suis mais d'où je viens, cela fait quelques décennies d'expérience que je sais distinguer l'intérêt désintéressé de la curiosité vaine et calculée.

J'ai déjà été confrontée à l'indiscible difficulté de prouver ma nationalité due à ma naissance à l'étranger, à 9465 km d'ici. On m'a toujours demandé mes origines ou "d'où je venais" dû au métissage imprimé sur mon visage. On m'a lapidée dans une école d'un autre continent parce que je ne ressemblais pas aux autres. On m'a demandé si je parlais français alors que je suis née dans cette langue qui me passionne au point que je l'ai étudiée dans une Fac de Lettres.

Ca fait bizarre.

 


J'imagine l'angoisse de l'exilé, la brutalité de l'expulsion imminente, la peur au quotidien, quand on a un enfant, qu'on est exploité dans un emploi clandestin, qu'on ne connaît pas la langue ou qu'on essaie d'exprimer son point de vue d'étranger, qu'on est incompris, effrayant parce que différent ou venu d'ailleurs.

 

Et je me dis quelle chance d'avoir non pas cette nationalité dont je n'ai que faire, étant citoyenne du monde de par ma jeunesse autour de la planète, mais de ne pas être étrangère ici. Je ne m'en étais jamais rendue compte. Tout en est simplifié, je suis légitime, avec en plus le bol d'avoir le nom et le prénom les plus courants, la protection d'un anonymat le plus total.

Aujourd'hui ce film qui se veut dur et qui n'est que convenu et d'un moralisme barbouillé de miel me réconcilie avec l'aspect le plus vulgaire et pragmatique de la notion de citoyenneté.

 

On doit de plus en plus "être dans la bonne case". Pire encore depuis la crise, les recruteurs, l'administration, un peu tout le monde quoi, cherchent à cataloguer chaque individu. A lui donner une sorte d'étiquette d'identité : diplômé bac+x, sorti de telle école, parcours dans telle boîte connue, nationalité Y, tranche d'âge Z (donc telle expérience, donc casé, donc stable, donc disponible, ...ou pas), homme ou femme (avec son lot d'inégalité contre lequel chacune lutte mais toléré collectivement)...

Il faut parfois s'arrêter et réfléchir au fait qu'on est, forcément, au moins dans une de ces bonnes cases, et donc qu'il y a un espoir.

 

Et qu'il faut se redresser, courir vers cette chance qu'on n'a peut-être pas choisie, et se souvenir humblement de ceux qui ne l'ont pas.

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<br /> <br /> merci ...........<br /> <br /> <br /> <br />
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